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Monsieur Denis Roques
Synésios de Cyrène et les migrations berbères vers l'Orient
(398-413)
In: Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 127e année, N. 4, 1983. pp. 660-
677.
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Roques Denis. Synésios de Cyrène et les migrations berbères vers l'Orient (398-413). In: Comptes rendus des séances de
l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 127e année, N. 4, 1983. pp. 660-677.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/crai_0065-0536_1983_num_127_4_14096
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COMPTES RENDUS DE L* ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS
COMMUNICATION
synésios de cyrène et les migrations berbères
vers l'orient (398-413),
par m. denis roques
Les travaux du Centre de recherches sur la Libye antique ne se
limitent pas aux fouilles d'Apollonia de Cyrénaïque et aux recherches
sur le terrain, dont la communication présentée récemment par
M. André Laronde sur Kainopolis de Cyrénaïque fournit une remar
quable illustration1. Ils visent aussi à établir des synthèses, comme
celle que représente l'ouvrage de M. André Laronde, Libykai Histo-
riai, en cours d'impression, qui étudie Cyrène et sa région à l'époque
hellénistique. Pour ma part j'ai consacré dernièrement (1982) à la
Cyrénaïque du Bas-Empire une étude d'ensemble sous le titre
Synésios de Cyrène et la Cyrénaïque de son temps (à paraître). C'est
un aspect de celle-ci que je voudrais exposer maintenant.
Pour l'époque dont il s'agit on dispose de peu de sources archéo
logiques.
La céramique du Bas-Empire reste encore insuffisamment
étudiée, à la différence de la céramique classique2. De même les
inscriptions et les monnaies sont rares dans la Cyrénaïque tardive
en regard de la floraison de documents qu'a livrés l'époque hellénis
tique3. Cela ne veut pas dire que les données soient absentes, loin
de là : ainsi le nombre d'églises répertoriées, mais non fouillées,
approche de la cinquantaine et s'accroît chaque année4. Pour le Bas-
Empire cependant on ne possède guère que des sources littéraires,
au demeurant mal réparties chronologiquement. En dehors de
quelques notices historiques, géographiques, administratives ou
hagiographiques, notre information émane surtout de la correspon
dance Synésios échangea entre ca 395 et 413 avec ses amis
que
d'Alexandrie et de Constantinople. Notre connaissance des faits est
donc limitée : nous avons beaucoup de renseignements pour ces deux
décennies, peu pour la période antérieure à 395, très peu pour la
1. Cf. A. Laronde, « Kainopolis de Cyrénaïque et la géographie historique »,
CRAI 1983, p. 67-85.
2. La céramique classique est actuellement étudiée par M. Jean-Jacques
Maffre, membre de la Mission française archéologique d'Apollonia.
3. L'épigraphie cyrénéenne est actuellement étudiée par Mme Catherine
Dobias, membre de la Mission française archéologique d'Apollonia.
4. Sur ces églises voir en dernier lieu le rapport de M. Noël Duval sur les églises
de la Cyrénaïque dans les Actes du Colloque sur Synésios de Cyrène, Paris, 1979,
à paraître.
MIGRATIONS BERBÈRES
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suite du ve siècle. Parmi les phénomènes majeurs que permettent de
saisir les Lettres, celui qui fait l'objet de la présente communication :
les migrations berbères d'Afrique romaine vers la Syrie de 398 à 413,
est passé inaperçu des historiens du Bas-Empire comme de ceux de
la Cyrénaïque ; aussi mérite-t-il d'être mis en lumière.
Des grands mouvements de population qui ont traversé l'Empire
romain dans la seconde moitié du ive siècle et eurent des répercus
sions son devenir, on connaît bien la cause : la marche vers
sur
l'ouest et le sud-ouest des Huns venus de l'Oural (fig. l)5. L'histoire
européenne a surtout retenu leur arrivée en Scythie pontique à partir
d'environ 360 et les effets secondaires de celle-ci sur les peuples
ostrogothiques et wisigothiques, avec en 376 le passage du Danube
par ces derniers, puis leur victoire à Andrinople en 378. Nul n'ignore
le départ, dans le dernier quart du siècle, de populations installées en
Europe centrale sous la pression des Huns, le passage du Rhin près
de Worms le 31 décembre 406 par les Alamans, les Suèves et les
Vandales, leurs pérégrinations à travers la Gaule, leur installation
provisoire en Espagne dans la seconde décennie du ve siècle, puis le
transfert des Vandales conduits par Genséric en Afrique romaine,
qui entraîna le siège d'Hippone en 430 et la prise de Carthage en 439.
Simultanément les Wisigoths d'Alaric, après avoir ravagé la pénin
sule
balkanique à partir de 396, parvenaient en Italie en 408 et pre
naient
Rome en 410, avant de repartir dans le sud de la Gaule et de
s'installer en 418 dans le diocèse des Sept-Provinces. Enfin, plus
limitée dans le temps et dans l'espace, intervint, de 395 à 398, une
poussée hunnique en Caucasie, puis en Asie Mineure et en Syrie, qui
suscita la panique jusqu'en Palestine, où résidait alors saint Jérôme.
A ces événements qui bouleversèrent la presqu'île européenne et le
Proche-Orient il convient d'ajouter, comme on va le montrer, la
migration des Maziques et des Ausuriens dans le nord de l'Afrique
et jusqu'au Proche-Orient entre 398 et 413, progression dont la
Correspondance de Synésios, mais aussi des allusions de Claudien,
Philostorge et saint Jérôme rendent possible de reconstituer les
étapes.
La lettre 130 du Cyrénéen relate à Simplikios, magister militum
à Constantinople, l'arrivée récente en Pentapole du gouverneur
militaire des deux Libyes Kéréalios6. Ce personnage, quelques jours
après avoir débarqué à Ptolémaïs de Cyrénaïque, a inauguré un style
de gouvernement nouveau et, au jugement de Synésios, désastreux
5. Sur les invasions barbares, cf. E. Demougeot, La formation de l'Europe et
les invasions barbares, t. II, 1 (De l'avènement de Dioclétien au début du vie s.),
Paris, 1979.
6. Cf. l'édition récente (Rome, 1979) due à A. Garzya, Synesii Cyrenensis
Epistolae, Lettre 130, p. 222, 11 et 14-16.
Fig. 1.- LES INVASIONS DE LA FIN DU IVe AU DEBUT DU Ve S. ap. J.C.
MIGRATIONS BERBÈRES
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parce que fondé sur la corruption. Imposant aux cités de Pentapole
des taxes pour leur permettre d'échapper à l'installation de garnisons
et monnayant aux soldats comitatenses des exemptions de service,
« il bouleversa et tourneboula tout en peu de temps » et, « très peu »
après, la guerre éclata. Divers indices objectifs conduisent à fixer le
début des hostilités en 405, comme les érudits l'ont admis sans
contestation, plus précisément en avril/mai. Dénonçant les malvers
ations du gouverneur, Synésios précise que « les Makétai ont vite
compris « ses façons d'agir » et, ajoute-t-il, « la nouvelle s'en est
répandue de chez les Mixobarbares jusque chez les Barbares »7. C'est
reconnaître d'abord que les Makétai sont ces Mixobarbares, et ensuite
qu'ils ont partie liée avec d'autres groupes de Barbares, en l'occur
rence
non désignés. Six ans plus tard, en 411 — la date ne souffre
pas non plus de discussion — la guerre, après avoir connu des phases
de tension et de rémission, continue et paraît s'intensifier : les re
sponsables
en sont cette fois les Ausourianoi8. L'étude de la Corres
pondance,
appuyée sur plusieurs données chronologiques objectives,
montre que la guerre s'est poursuivie en 412, mais qu'elle s'est
terminée cette année-là après l'arrivée d'un général énergique et
soucieux de rétablir l'ordre dans l'armée romaine. Au total elle a duré
de 405 à 412. On a longtemps affirmé qu'elle avait commencé dès
3959, mais il est aisé de montrer qu'une telle position relève d'une
mauvaise interprétation de la lettre 145 de Synésios. Plutôt que
chronologique, le problème est de trouver l'origine des Makétai et
des Ausourianoi, de déterminer le statut des premiers et de com
prendre
les motifs qui ont amené ces deux groupes à la lutte guerrière.
Makétai et Ausourianoi sont des populations antérieurement
inconnues en Cyrénaïque. Hérodote mentionnait bien, au ve siècle
av. J.-C, des Makai dans le désert de Syrte10 et une inscription
fameuse du ive siècle av. J.-C. commémore la victoire de stratèges
cyrénéens sur les Maques et les Nasa nions11. Mais depuis ce temps les
premiers avaient disparu et avaient été relayés dès la fin de l'époque
hellénistique par une autre tribu, celle des Marmarides12. A leur tour
ces derniers semblent avoir été anéantis sous Claude II le Gothique
(268-270), comme le rappelle une inscription de Cyrène13. En fait,
7. 130, 222, 14-16 : Toiixwv èÇétoç ^ct0ovto Mox£toci xal ytyove SiaS6oi(jtoç
ànb tôSv (xiÇoPappàptov eîç xoùç (3ap(3àpou<; tj 9?)(Z7).
8. Cf. les deux Catastases de Synésios (dans l'édition de N. Terzaghi, Synesii
Cyrenensis Opuscula, Rome, 1944, p. 283-293).
9. Cf. C. Lacombrade, Synésios hellène et chrétien, Paris, 1951, 76.
10. Histoires, IV, 175 ; V, 42.
11. Suppl. Épigr. Gr., IX, 77.
12. Cf. J. Desanges, Recherches sur l'activité des Méditerranéens aux conflits
de l'Afrique, Rome, 1978, 98-99, 212, 252, 304.
13. SEG IX, 9.
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