proust_a_la_recherche_du_temps_perdu_4_sodome_gomorrhe.pdf

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Marcel Proust
À L A RECHERCHE DU
TEMPS PERDU
SODOME ET
GOMORRHE
1921-22
édité par la
bibliothèque numérique romande
ebooks-bnr.com
Table des matières
I ................................................................................................ 3
II ............................................................................................. 42
CHAPITRE PREMIER............................................................... 42
CHAPITRE II .......................................................................... 223
CHAPITRE III ......................................................................... 460
CHAPITRE IV ......................................................................... 620
Ce livre numérique .............................................................. 643
Publié entre 1913 et 1927,
À la recherche du temps perdu
de Marcel Proust est un texte libre en Europe et en Suisse
depuis 1987. Cette édition, basée sur la numérisation de la
Bibliothèque électronique du Québec, souhaite marquer ainsi
le 30
ème
anniversaire
de l’entrée de cette œuvre dans le do-
maine public. À cette occasion, l’ensemble du livre a été soi-
gneusement revu, relu et corrigé.
Bibliothèque numérique romande
I
Première apparition des hommes-femmes, des-
cendants de ceux des habitants de Sodome qui fu-
rent épargnés par le feu du ciel.
« La femme aura Gomorrhe
et l’homme aura Sodome
».
ALFRED DE VIGNY.
On sait que bien avant d’aller ce jour-là
(le jour où avait
lieu la soirée de la princesse de Guermantes) rendre au duc
et à la duchesse la visite que
je viens de raconter, j’avais épié
leur retour et fait, pendant la durée de mon guet, une décou-
verte, concernant particulièrement M. de Charlus, mais si
importante en elle-même
que j’ai jusqu’ici, jusqu’au moment
de pouvoir lui donner la place et l’étendue
voulues, différé de
la rapporter. J’avais, comme je l’ai dit, délaissé le point de
vue merveilleux, si confortablement aménagé au haut de la
maison, d’où l’on embrasse les pentes accidentées par où
l’on monte jusqu’à l’hôtel de Bréquigny, et qui sont gaiement
décorées à l’italienne par le rose campanile de la remise ap-
partenant au marquis de Frécourt. J’avais trouvé plus pra-
tique, quand j’avais pensé que le duc et la duchesse étaient
sur le point de revenir, de me poster sur l’escalier. Je regret-
tais un peu
mon séjour d’altitude. Mais à cette heure-là,
qui
était celle d’après le déjeuner, j’avais moins à regretter, car
je n’aurais pas vu comme le matin les minuscules person-
3
nages de tableaux, que devenaient à distance les valets de
pied de l’hôtel de Bréquigny
et de Tresmes, faire la lente as-
cension de la côte abrupte, un plumeau à la main, entre les
larges feuilles de mica transparentes qui se détachaient si
plaisamment sur les contreforts rouges. À défaut de la con-
templation du géologue, j’avais du moins celle
du botaniste
et regardais par les volets de l’escalier le petit arbuste de la
duchesse et la plante précieuse exposés dans la cour avec
cette insistance qu’on met à faire sortir les jeunes gens à ma-
rier, et je me demandais si l’insecte improbable viendrait,
par
un hasard providentiel, visiter le pistil offert et délaissé. La
curiosité m’enhardissant peu à peu, je descendis jusqu’à la
fenêtre du rez-de-chaussée, ouverte elle aussi et dont les vo-
lets n’étaient qu’à moitié clos. J’entendais distinctement,
se
préparant à partir, Jupien qui ne pouvait me découvrir der-
rière mon store où je restai immobile jusqu’au moment où je
me rejetai brusquement de côté par peur d’être vu de
M. de Charlus, lequel allant chez M
me
de Villeparisis, traver-
sait lentement la cour, bedonnant, vieilli par le plein jour,
grisonnant. Il avait fallu une indisposition de M
me
de Ville-
parisis (conséquence de la maladie du marquis de Fierbois
avec lequel il était personnellement brouillé à mort) pour que
M. de Charlus fît une visite, peut-être la première fois de son
existence, à cette heure-là. Car avec cette singularité des
Guermantes qui, au lieu de se conformer à la vie mondaine,
la modifiaient d’après leurs habitudes personnelles (non
mondaines, croyaient-ils, et dignes par conséquent
qu’on
humiliât devant elles cette chose sans valeur, la mondanité
c’est ainsi que M
me
de
Marsantes n’avait pas de jour, mais
recevait tous les matins ses amies de 10 heures à midi), le
baron, gardant ce temps pour la lecture, la recherche des
vieux bibelots, etc.,
ne faisait jamais une visite qu’entre
4 et
6 heures du soir. À 6 heures il allait au Jockey ou se prome-
4
ner au Bois. Au bout d’un instant je fis un nouveau mouve-
ment de recul pour ne pas être vu par Jupien
; c’était bientôt
son heure de partir
au bureau, d’où il ne revenait que pour le
dîner, et même pas toujours depuis une semaine que sa nièce
était allée avec ses apprenties à la campagne chez une
cliente finir une robe. Puis me rendant compte que personne
ne pouvait me voir, je résolus de ne plus me déranger de
peur de manquer, si le miracle devait se produire, l’arrivée
presque impossible à espérer (à travers tant d’obstacles, de
distance, de risques contraires, de dangers) de l’insecte en-
voyé de si loin en ambassadeur à la vierge qui depuis long-
temps prolongeait son attente. Je savais que cette attente
n’était pas plus passive que chez la fleur mâle, dont les éta-
mines s’étaient spontanément tournées pour que l’insecte
pût plus facilement la recevoir ; de même la fleur femme qui
était ici, si
l’insecte venait, arquerait coquettement ses
« styles » et pour être mieux pénétrée par lui ferait impercep-
tiblement, comme une jouvencelle hypocrite mais ardente, la
moitié du chemin. Les lois du monde végétal sont gouver-
nées elles-mêmes par des lois de plus en plus hautes. Si la vi-
site d’un insecte, c’est-à-dire l’apport de la semence d’une
autre fleur, est habituellement nécessaire pour féconder une
fleur, c’est que l’autofécondation, la fécondation de la fleur
par elle-même, comme les mariages répétés dans une même
famille, amènerait la dégénérescence et la stérilité, tandis
que le croisement opéré par les insectes donne aux généra-
tions suivantes de la même espèce une vigueur inconnue de
leurs aînées. Cependant cet essor peut être
excessif, l’espèce
se développer démesurément ; alors comme une antitoxine
défend contre la maladie, comme le corps thyroïde règle
notre embonpoint, comme la défaite vient punir l’orgueil, la
fatigue le plaisir, et comme le sommeil repose à son tour de
la fatigue, ainsi un acte
exceptionnel d’autofécondation vient
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