proust_a_la_recherche_du_temps_perdu_1_swann.pdf

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Marcel Proust
À LA
RECHERCHE DU
TEMPS PERDU
DU CÔTÉ DE
CHEZ SWANN
1913
édité par la
bibliothèque numérique romande ebooks-bnr.com
Table des matières
PREMIÈRE PARTIE COMBRAY ............................................. 4
I ................................................................................................... 4
II ............................................................................................... 60
DEUXIÈME PARTIE UN AMOUR DE SWANN ................. 236
TROISIÈME PARTIE NOMS DE PAYS : LE NOM ............. 482
Ce livre numérique .............................................................. 538
Publié entre 1913 et 1927,
À la recherche du temps perdu
de Marcel Proust est un texte libre en Europe et en Suisse
depuis 1987. Cette édition, basée sur la numérisation de la
Bibliothèque électronique du Québec, souhaite marquer ainsi
le 30
ème
anniversaire de l’entrée de cette œuvre dans le do-
maine public. À cette occasion, l’ensemble du livre a été soi-
gneusement revu, relu et corrigé.
Bibliothèque numérique romande
À M. G
ASTON
C
ALMETTE
.
Comme un témoignage de profonde et affec-
tueuse reconnaissance.
Marcel Proust
–3–
PREMIÈRE PARTIE
COMBRAY
I
Longtemps, je me suis couché de bonne heure. Parfois, à
peine ma bougie éteinte, mes yeux se fermaient si vite que je
n’avais pas le temps de me dire : « Je m’endors. » Et, une
demi-heure après, la pensée qu’il était temps de chercher le
sommeil m’éveillait ; je voulais poser le volume que je
croyais avoir encore dans les mains et souffler ma lumière ;
je n’avais pas cessé en dormant de faire des réflexions sur ce
que je venais de lire, mais ces réflexions avaient pris un tour
un peu particulier ; il me semblait que j’étais moi-même ce
dont parlait l’ouvrage : une église, un quatuor, la rivalité de
François
I
er
et de Charles Quint. Cette croyance survivait
pendant quelques secondes à mon réveil ; elle ne choquait
pas ma raison mais pesait comme des écailles sur mes yeux
et les empêchait de se rendre compte que le bougeoir n’était
plus allumé. Puis elle commençait à me devenir inintelligible,
comme après la métempsycose les pensées d’une existence
antérieure ; le sujet du livre se détachait de moi, j’étais libre
de m’y appliquer ou non ; aussitôt je recouvrais la vue et
j’étais bien étonné de trouver autour de moi une obscurité,
douce et reposante pour mes yeux, mais peut-être plus en-
core pour mon esprit, à qui elle apparaissait comme une
chose sans cause, incompréhensible, comme une chose
–4–
vraiment obscure. Je me demandais quelle heure il pouvait
être ; j’entendais le sifflement des trains qui, plus ou moins
éloigné, comme le chant d’un oiseau dans une forêt, relevant
les distances, me décrivait l’étendue de la campagne déserte
où le voyageur se hâte vers la station prochaine ; et le petit
chemin qu’il suit va être gravé dans son souvenir par l’ex-
citation qu’il doit à des lieux nouveaux, à des actes inaccou-
tumés, à la causerie récente et aux adieux sous la lampe
étrangère qui le suivent encore dans le silence de la nuit, à la
douceur prochaine du retour.
J’appuyais tendrement mes joues contre les belles joues
de l’oreiller qui, pleines et fraîches, sont comme les joues de
notre enfance. Je frottais une allumette pour regarder ma
montre. Bientôt minuit. C’est l’instant où le malade, qui a été
obligé de partir en voyage et a dû coucher dans un hôtel in-
connu, réveillé par une crise, se réjouit en apercevant sous la
porte une raie de jour. Quel bonheur, c’est déjà le matin !
Dans un moment les domestiques seront levés, il pourra
sonner, on viendra lui porter secours. L’espérance d’être
soulagé lui donne du courage pour souffrir. Justement il a
cru entendre des pas ; les pas se rapprochent, puis s’éloi-
gnent. Et la raie de jour qui était sous sa porte a disparu.
C’est minuit ; on vient d’éteindre le gaz ; le dernier domes-
tique est parti et il faudra rester toute la nuit à souffrir sans
remède.
Je me rendormais, et parfois je n’avais plus que de
courts réveils d’un instant, le temps d’entendre les craque-
ments organiques des boiseries, d’ouvrir les yeux pour fixer
le kaléidoscope de l’obscurité, de goûter grâce à une lueur
momentanée de conscience le sommeil où étaient plongés
les meubles, la chambre, le tout dont je n’étais qu’une petite
partie et à l’insensibilité duquel je retournais vite m’unir. Ou
–5–
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